« Allez voir en dictature! » (Partie 2) – La Vème République: un gouvernement représentatif en crise?

Le mot du prof:

Cet article constitue la seconde partie d’un sujet abordé en 2020, et visant à éclairer la place de la démocratie dans notre régime politique. Depuis l’année scolaire 2019-2020, l’équipe a été modifiée et s’est enrichie de nouvelles recrues. Désormais, l’observatoire de l’antirépublicanisme compte dix élèves de la cité scolaire Alexandre Lacassagne, étudiant en classes de 3ème, 2nde et 1ère. Les nouvelles élèves de l’équipe ont donc dû s’inscrire dans un projet qu’elles n’ont pas vu naître, et aborder des thèmes encore inconnus, notamment pour celles étudiant en collège. L’écriture collaborative et coopérative de cet article fut donc un travail complexe et extrêmement riche rendu possible par le sérieux et la finesse des élèves.

NB: J’ai écrit les légendes des illustrations en reprenant les analyses et discussions du cours.

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«Dictatoriale ! », «antidémocratique ! » autant d’adjectifs entendus dans la bouche de personnalités politiques et médiatiques pour qualifier le gouvernement, sa politique et de manière générale le régime de la  Vème république. Certains, à l’image d’Etienne Chouard, enseignant d’économie et blogueur, affirment que nous  vivons dans une « anti démocratie», une illusion. Si dans notre dernier article, nous avons vu que notre régime n’était pas une «démocratie» au sens stricte du terme, qu’est-il réellement?  On le nomme : système représentatif. Mais de quoi s’agit-il? Pourquoi est-il tant critiqué par nos contemporains? Jusqu’où remontent ses racines ? Et enfin peut-on parler de crise de la représentation de celui-ci?

Les personnes qui accusent le gouvernement représentatif mettent en lien la Révolution Française, c’est le cas notamment d’Etienne Chouard. Mais il s’agit de dénoncer la République Française et ses valeurs à travers une critique de notre régime républicain actuel. 

Les lointaines origines de la représentation politique

Représentation et gouvernement représentatif…

D’après Etienne Chouard le gouvernement a été “conçu par les riches au XVIIIe siècle pour dominer les pauvres” . Selon lui, le principal moyen de cette domination serait la rédaction de la Constitution. Cette datation ferait coïncider l’apparition de cette domination des riches  avec les révolutions américaine et française, ce qui est un moyen de les critiquer. 

Dessin de Caran d’Ache, 1898. Si la lecture historique de la Révolution française d’E. Chouard n’est pas en soi antisémite, elle s’inscrit dans une longue tradition antirépublicaine et anti dreyfusarde. Ici, le paysan d’après 1789 doit supporter un bourgeois, un franc-maçon et un juif, au lieu d’un simple noble durant l’ancien régime.

Les spécialistes s’inscrivent en faux quant à cette datation. Le principe de représentation est sans doute apparu au moyen âge. Bernard Manin, politologue et philosophe politique de référence sur le sujet, explique que les origines de la représentation sont à rechercher au moyen âge, dans le cadre de L’Église, qui souhaitait faire le lien avec les chrétiens réunis en communauté, ou encore celui des villes avec le roi ou l’empereur. Certains historiens pensent même que la représentation politique est apparue dans l’antiquité. Scipione Maffei affirmait déjà en 1736 que les Romains exerçaient la représentation en se basant sur les récits de Tacite dans Germania.

Quant au gouvernement représentatif, ce régime politique basé sur la représentation, son origine fait encore débat chez les historiens. Toutefois on peut peut-être avancer une naissance lors de la «glorieuse révolution» en 1689 quand le parlement anglais imposa ses droits au nouveau roi, Guillaume III d’Orange, après la destitution de Jacques II, qui s’y était opposé. 

Bernard Manin
Directeur d’études à l’EHESS et professeur à la New York University.

… un vieux débat

Ainsi, la question de la représentativité, comme capacité d’un Etat à représenter son peuple, n’est pas nouvelle… et les débats qu’elle suscite non-plus ! Aux XVIIIème et XIXème siècles, des philosophes politiques pensent la démocratie et opposent leur vision du système. 

Jean-Jacques Rousseau (1753) Benjamin Constant (1847)

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) est un écrivain, philosophe et penseur de la démocratie pris comme référence. En 1762, il publie Du Contrat Social, dans lequel il énonce son idéal républicain, et une critique du système représentatif dans le Livre III. Il se montre favorable à la séparation des pouvoirs, puisqu’il qualifie de « dangereux » le fait que celui qui fasse la loi l’exécute.
D’après lui, il n’existe pas de « démocratie par excellence ».  S’il affirme en effet que « s’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes », il considère néanmoins la démocratie directe athénienne comme étant la démocratie témoin, la seule qui ait pu garantir ce qui s’approche le plus de l’idéal démocratique.
Toutefois pour lui, la logique veut que le plus petit nombre gouverne car il est plus simple de s’accorder avec peu de personnes que lorsque l’assemblée est large : de tous temps les plus petites institutions et groupes viennent à dominer la majorité. Sur ce point, il remet en cause le système athénien de démocratie et la supériorité de la majorité des citoyens. De plus, toujours en s’appuyant sur le modèle antique, il rejoint Aristote qui affirme qu’un système de démocratie directe comme celui d’Athènes ne peut subsister que dans un État peu étendu. 

Il n’est pas le seul philosophe des Lumières, à l’image de Diderot, à concéder qu’une démocratie comme celle qui était pratiquée à Athènes n’est pas transposable dans les sociétés actuelles. Ces penseurs des Lumières sont alors confrontés à un problème qui se pose dans des termes nouveaux : comment concilier un système démocratique (direct)  et un Etat moderne ? 

Une génération plus tard, Benjamin Constant (1767-1830), figure du libéralisme du XIXe siècle, se prononce sur le sujet dans un discours resté célèbre. Le mouvement dont il est l’un des précurseurs consiste à favoriser les libertés et à encadrer l’intervention de l’État dans la gestion de celles-ci en le limitant à ses fonctions régaliennes (gestion de la police, de la monnaie et la diplomatie). Ainsi, Constant oppose les libertés des Anciens (les Athéniens), et celles des Modernes. Chez les Anciens, la liberté consistait en l’exercice de la politique, contrairement aux Modernes qui privilégient les loisirs et les libertés individuelles. La sphère privée est plus importante chez les Modernes que chez les Anciens, pour qui le bien commun primait sur le bonheur individuel. L’auteur admet cependant un risque à trop se focaliser sur les libertés individuelles : oublier la politique, et laisser une minorité décider pour soi. Ainsi, il dénonce la représentation politique, qui peut mener au despotisme dans les cas extrêmes, lorsque les représentants ne sont pas surveillés. 

Cette critique de l’individualisme politique a été reprise par Alexis de Tocqueville (1805-1859), qui a notamment analysé la démocratie aux Etats-Unis dans son livre De la Démocratie en Amérique (1835). La représentation politique incite les citoyens à ne plus se préoccuper de la politique, à vaquer à leurs loisirs tandis qu’un groupe de personnes, censé représenter le peuple, évolue et dirige leur nation sans surveillance. Le risque est la montée au pouvoir de personnes mal intentionnées. D’ailleurs, la représentation, qui a été prévue pour garantir les libertés individuelles, peut avoir l’effet inverse. En effet, en partant à la recherche du bonheur individuel, l’Homme s’est finalement retrouvé entravé dans un système qui le maternise, le protège, mais aussi l’oppresse. L’Homme ayant soif de liberté, il place son pouvoir entre les mains d’autres hommes et femmes qui les encadrent, les guident et finalement les privent de certains droits: nous sommes face à un paradoxe immense. Si Tocqueville se montre séduit par le système américain, il en exprime les failles et les limites : le peuple est dépendant de ses représentants, et en quête d’indépendance, il élit lui-même les chaînes qui restreignent ses libertés.  

Le mode de gouvernement représentatif présente donc des avantages, puisqu’il permet de garantir les libertés individuelles, mais il reste vivement critiqué. Les libertés sont illusoires dans un monde où la démocratie est sans cesse menacée par des « nouveaux despotes ». L’éternel balancier entre la minorité (les élites), qui gouverne plus facilement, et la majorité, souvent écrasante ( le peuple) est par nature déséquilibré. Aujourd’hui comme au XVIIIème siècle, cet ascendant des élites minoritaires sur le peuple majoritaire risque de mettre en péril la démocratie. Le système représentatif permet-il de se protéger contre ce risque? La question se pose désormais dans des termes différents, avec la notion de ”démocratie augmentée” via les médias et les réseaux sociaux, mais la finalité, concernant la mise en danger de la démocratie, reste sensiblement la même. Quoiqu’il en soit, les débats autour de la démocratie et ses formes existent depuis plusieurs siècles, mais ne trouveront jamais de réponse universelle. 

Qu’est-ce qu’un gouvernement représentatif? 

Définition

La République française est depuis sa naissance lors de la Révolution un régime représentatif et non démocratique. Comme l’affirmait l’abbé Emmanuel-Joseph Siéyes dans un fameux discours le 7 septembre 1789 :  “Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants”.

Comment définir alors notre régime? Bernard Manin, référence sur le sujet en retient quatre caractéristiques :

  • Le caractère récurrent des élections en fait partie. 
  • L’indépendance des élus par rapport à leurs électeurs. 
  • La liberté d’opinion des électeurs. 
  • Les décisions publiques sont soumises à la discussion, au débat. Il faut noter cependant que ce débat n’est pas un procédé de gouvernement mais plutôt une façon d’examiner, de tester une décision. En d’autres termes, un projet de loi peut être débattu, y compris par la rue (manifestations, pétitions, mouvements sociaux, etc.), mais les dirigeants n’en tiennent pas forcément compte dans leur décision finale. Nous y reviendrons. Le débat public est donc plus une méthode pour mettre à l’épreuve les décisions publiques, qu’un moyen de prendre une décision.

Nadia Urbinati, théoricienne politique italienne, ajoute deux critères à cette définition:

  • L’importance des partis politiques comme structures permettant de faire l’intermédiaire entre les citoyens et les institutions de gouvernement,
  • la nécessaire représentativité, c’est-à-dire la capacité du régime à représenter l’opinion des électeurs, y compris entre les élections, afin d’éviter trop de déconnection entre dirigeants et électeurs. Cela peut passer par les partis politiques, mais aussi par les pétitions, les associations, les pétitions, etc.

Démocratie directe vs démocratie représentative

Contrairement à l’avis d’Etienne Chouard, Bernard Manin ne voit pas d’incohérence dans une démocratie représentative. Il parle de gouvernement “mixte”, c’est-à-dire que les éléments démocratiques ne forment qu’une partie des caractéristiques du régime. D’autres éléments non démocratiques ont d’autres logiques. Il s’agit d’un  gouvernement beaucoup plus complexe que la démocratie directe qui, à l’opposé, exerce un régime simple, non mixte et impliquant une pluralité d’éléments. Le gouvernement représentatif possède l’avantage d’être plus stable que la démocratie directe car son nombre inférieur de dirigeants permet des décisions mieux réfléchies et plus durables.     

Ce qu’il y a de sûr c’est que la démocratie représentative polarise les débats. Si l’on penche notre oreille d’une extrémité à l’autre, on a presque l’impression d’entendre parler de deux systèmes radicalement opposés qui encadrent une multitude d’autres opinions. Mais alors, que représente ce nuancier de couleur ? Penchons-nous sur deux opinions contraires. 

La première remonte à Thomas Paine (1737-1809), penseur anglais, grand partisan de la République et des droits de l’Homme. Il a suivi avec enthousiasme la révolution française et affirme que la démocratie représentative surpasse son aînée. En effet, il explique que  dans un gouvernement représentatif, le Parlement est directement connecté au peuple. De plus, les débats y sont moins houleux et directs que dans la Grèce antique. Cela assure une stabilité démocratique. 

Cette opinion est à l’opposée de la critique d’Étienne Chouard suivie par une partie du mouvement “gilets jaunes”. Le système représentatif y est décrit comme anti démocratique et la critique est âpre : “C’est une ploutocratie, le pouvoir des riches”. Selon E. Chouard, nous sommes représentés par une élite et le pouvoir ne pourrait jamais atterrir entre les mains d’une personne lambda. Le choix de nos représentants serait donc restreint : nous ne pourrions choisir qu’entre une poignée d’élites. 

Etienne Chouard, enseignant, blogueur

Toutefois, la pertinence de cette analyse peut être remise en cause. En effet, depuis que le monde est monde et que des gouvernements politiques se sont mis en place, le pouvoir est toujours revenu aux riches: la monarchie absolue avec sa société d’ordre, l’empire romain et ses patriciens ou encore les pharaons dans l’Egypte antique. Quels gouvernements échappent à un système dirigé par les plus riches ? 

Un système en crise?

Un système élitiste?

Pourquoi alors les détenteurs du pouvoir se ressemblent-ils ? En effet le stéréotype de l’élite politique est blanc, vieux, de classe sociale élevée et qui par conséquent a fait des études. Quels procédés utilisons-nous pour élire nos dirigeants ? Sont-ils élus grâce à leurs compétences ? 

Dans aucun des deux systèmes (démocratie directe ou représentative), les élus ne sont sélectionnés sur leurs compétences.

Parmi les détenteurs des trois pouvoirs politiques (législatif, exécutif et judiciaire), seuls les juges (justice) sont issus d’une sélection par concours, c’est-à-dire par un système sélectionnant sur les compétences. Nos représentants sont élus et choisis par rapport à l’image qu’ils renvoient et non par leurs qualités réelles. Nous votons pour une personne en fonction de son charisme, son physique, ses idées, son parti, son nom, sa capacité à renvoyer une image positive, dans laquelle on se reconnaît. Tous ces critères de sélection n’impliquent pas la capacité à diriger du candidat. Le jugement des électeurs ne garantit en rien la capacité (ou l’incapacité) du candidat à diriger. En exemple, lorsque Winston Churchill fut désigné au poste de 1er ministre britannique durant la seconde guerre mondiale, son parti ne le considérait alors pas apte à la tâche, il revenait même de dix ans de creux dans sa carrière. Son habileté à gérer le pays durant le conflit en fit néanmoins une grande figure du XXème siècle. La démocratie représentative est donc basée sur le vote et sélectionne les dirigeants sur leur capacité à susciter l’adhésion. La démocratie directe, elle, fonctionne par tirage au sort, c’est-à-dire par le hasard. Il faut donc noter que dans aucun des deux systèmes, les élus ne sont sélectionnés sur leurs compétences.

Mais pour en arriver là, les candidats ont en règle générale étudié dans des écoles prestigieuses. Cela dit, on observe une surreprésentation des classes sociales favorisées dans les étudiants de ces écoles, ce qui est à mettre en relation avec le capital social et le capital culturel.

Le capital social est défini par les réseaux dans lesquels nous pouvons être intégrés, ce qui peut amener des avantages, une meilleure compréhension d’un certain milieu, etc. Il s’associe souvent à un capital économique. Le capital culturel, analysé par les sociologues Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron, est une notion qui désigne l’ensemble des « bien culturels » transmis dans une famille. Ainsi, un enfant d’enseignant sera plus familiarisé avec des sujets culturels, scientifiques et politiques qu’un enfant issu d’une famille où les échanges sont limités sur ces sujets et ont une portée culturelle faible.

Un enfant issu d’un milieu cultivé aura donc statistiquement plus de chance de réussir dans ses études qu’un enfant issu d’un milieu ou l’accès à l’information et la culture est plus compliqué. Cette notion a été critiquée car il y a évidemment des contre-exemples, mais c’est indéniable statistiquement.

Le capital culturel de Pierre Bourdieu (dessin de F. Duriez)

La crise de la représentation?

« La France est le pays européen dans lequel les citoyens ont le moins confiance en leurs représentants politiques »

Une phrase lourde de sens, prononcée par Martial Foucault, agrégé de Sciences Politiques et chercheur au CEVIPOF (Centre d’études de la vie politique française), dans un contexte de défiance permanente du peuple français envers le gouvernement, et les représentants politiques en règle générale. En effet, de nos jours, dans la cour du lycée ou lors d’un repas de famille, on entend des propos qui attestent d’un réel sentiment de déconnexion entre le peuple et ses représentants.

Selon l’étude académique annuelle du CEVIPOF nommée « Baromètre de la confiance publique » sur la population française, 70% des personnes interrogées disent ne pas avoir confiance en le gouvernement, et 60% ne croient plus en la démocratie telle qu’elle est présentée aujourd’hui.  Les dirigeants sont taxés de menteurs ou encore d’incompétents.

Cette défiance est-elle liée aux hommes, ou au gouvernement représentatif en tant que tel? En effet, les caractéristiques décrites plus haut par B. Manin posent problème : une fois au pouvoir, le président de la République n’est en aucun cas obligé de tenir ses promesses durant tout son mandat (indépendance des élus). Cependant, il doit faire en sorte d’être réélu aux prochaines élections, c’est pourquoi à la fin de son mandat, il honore ses promesses  annoncées aux élections précédentes pour gagner la confiance des électeurs (récurrence des élections). Ces comportements électoralistes sont mal vus par nos concitoyens. De même, le gouvernement travaille seul. Il écoute les propositions des français mais n’en tient pas forcément compte (décisions publiques soumises à discussion). Le peuple n’a aucune garantie d’être entendu ou de parvenir à d’éventuels changements. Par exemple, lors du Grand Débat National, Emmanuel Macron a réuni les français pour  écouter leurs revendications et leur répondre. Mais est-ce réellement pris en compte? En effet, on ne constate aucun changement dans notre système gouvernemental suite à cette intervention.

Il faut noter qu’en France, nous sommes face à une vague de jeunes électeurs, à l’aube de leur citoyenneté, qui montrent un désintérêt pour les questions politiques. C’est d’ailleurs l’un des dangers relevés par Tocqueville et Constant, que nous avons évoqué plus haut ;  le risque de la représentation est d’oublier la politique et de laisser d’autres personnes, avec leurs intentions, bonnes ou mauvaises, décider pour nous.
Alors, pourquoi cette jeune génération âgée de vingt à trente ans, prend-elle une distance avec la politique ? Ce manque d’intérêt est d’abord dû au manque de représentation : ces électeurs ne trouvent pas de candidat qui respecte suffisamment leurs convictions. Ce sentiment est hélas inévitable et il peut difficilement être soulagé puisqu’il n’existe qu’une poignée de candidats pour soixante-six millions de français ! 

Surtout, les Français demandent à être représentés davantage. Ils réclament plus de diversité au sein du parlement ou même du gouvernement : plus de femmes, de jeunes, de personnes de couleur, issues de milieux sociaux différents, …). Pour Bernard Manin, cette revendication de représentativité nuance l’idée de crise de la représentation, c’est même la preuve qu’elle est encore attractive.

Certains électeurs (plus âgés) disent regretter les mandats de Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand ou Jacques Chirac, et leurs lots de réformes. Ces présidents paraissaient sans doute plus proches de leur peuple, ou du moins à leur écoute. Le gouvernement actuel est donc jugé trop détaché par cette frange de la population nostalgique. Cela tient au style de gouvernement du mandat Macron, qui s’incarne dans les discours présidentiels dont le niveau de langue est souvent raillé pour être trop soutenu.


Enfin, d’autres citoyens adoptent une attitude fataliste en abandonnant l’idée que la société et le système peuvent évoluer. Le changement est alors une revendication vaine. En effet, beaucoup de jeunes électeurs ne se sentent pas concernés : ils se figurent un mur infranchissable et hermétique entre eux et le gouvernement, comme deux mondes qui ne peuvent se côtoyer.  Ils ne réclament donc plus d’être représentés; peut-être que la crise est là.

Sondage Ipsos, élections législative (2017)

Finalement, les revendications pour voir évoluer le système, menées dernièrement par les Gilets Jaunes, expriment surtout une volonté de plus de représentativité. Le peuple ne se retrouve pas, et n’a pas confiance en les représentants actuels. Pour autant, si les dénonciations sont nombreuses, les propositions de solutions concrètes pour réformer le système sont rares. 

Le rôle fondamental des médias

Si le lien entre le peuple et les élus semble parfois brisé, c’est aux médias qu’il incombe de le rétablir. Nous ne connaissons pas nos dirigeants personnellement. Nous avons seulement des informations que la presse nous renvoie. Elle joue un rôle fondamental dans la vie politique du pays. Mais ces informations sont-elles fiables? Qui sont les détenteurs de ces médias? 

Beaucoup accusent les médias de faire de la propagande d’État. En effet, plusieurs journaux et chaînes d’infos sont détenus par une seule et même personne, on peut donc se poser la question de l’indépendance de ces médias. La question de la pluralité des médias est également soulevée: si une seule personne détient de nombreux médias, leurs contenus sont-ils réellement différents ? 

Mème trouvé sur twitter (2018), dénonçant le complot médiatique et son emprise sur le pouvoir politique. La main du marionnettiste est issue d’une iconographie propre à la théorie du « complot illuminati ».

Ce débat peut rapidement tourner au complotisme lorsqu’il est mené sans discernement: les médias se rallient-ils pour nous faire adopter une seule et même idée? Les nombreuses et diverses critiques de la politique gouvernementale tendent malgré tout à nous rassurer quant à la pluralité de l’information. Cependant, ces questions sont très légitimes : les médias étant la seule chose qui nous relie directement aux hommes et femmes politiques en France, il faudrait pouvoir être rassuré de la véracité de ces informations et de la fiabilité de ceux qui les écrivent. C’est pour cela que l’opinion publique réclame plus d’indépendance et de pluralité au sein des médias français, conditions sine qua non pour une réelle démocratie représentative. 

Par Esther Bellanca-Penel, Lisa Bergaentzle, Clara Berthuit, Léa Cabrera, Livia Choulet, Albane Lazert, Lily Oeuvrard, Serena Silvestre, Meltem Ulker et Sila Ulker

Sous la direction de Youri Aguilaniu

« Allez voir en dictature ! » (Partie 1) – La Ve république : une démocratie, vraiment ?

Partie 1 : Qu’est-ce que la démocratie directe ?

Le mot du prof :

Cet article a pour but d’éclairer par l’Histoire la définition de démocratie directe. Étant parfaitement conscients que l’exemple athénien ne parle que pour lui-même, que chaque expérience démocratique doit être étudiée dans son contexte historique, avec son rythme, les attentes de ses citoyens, son champ des possibles propres, nous savons qu’il serait malhonnête de prétendre comprendre la « démocratie directe » par le seul exemple athénien. Toutefois, il nous a semblé bon de nous pencher sur ce cas si emblématique, remis au goût du jour par des renouvellement historiographiques importants ces dix dernières années. Surtout, le cas athénien nous a paru à même d’éclairer les idées de nos concitoyens.

L’agora d’Athènes et ses environs – Source: V. Azoulay, Citoyenneté et démocratie au Ve siècle av JC, Documentation photographique (juin 2016)

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« Aujourd’hui s’est installée dans notre société, et de manière séditieuse par des discours politiques et extraordinairement coupables, l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie, qu’il y ait une forme de dictature qui s’est installée… Mais allez en dictature ! La dictature, elle justifie la haine, elle justifie la violence pour en sortir. Si la France c’est cela, essayez la dictature et vous verrez ! ». 

Cette virulente sortie du président Macron à l’encontre des déclarations critiquant sa manière de gouverner (24 janvier 2020) nous a semblé très signifiante : elle révèle les interrogations d’une partie croissante de la société française sur notre régime politique.

« Dictature », « régime autoritaire », « régime autocratique », « régime totalitaire » voire « fasciste », la récurrence de ces propos dans la sphère publique mais aussi sur la scène politique nous incite à remettre dans la lumière de l’Histoire ces notions, et à nous interroger sur ce qu’est une démocratie, afin de se faire une idée éclairée sur l’évolution de notre régime. Dans ce premier article sur le thème, nous tenterons d’offrir une clarification de ces notions afin de se pencher par l’Histoire sur la fameuse « démocratie directe ». Nous verrons dans un article qui suivra la place de la démocratie dans notre régime.

Si une synthèse complète sur le sujet nous parait impossible étant donnée sa densité, il semble important d’apporter une lumière historique sur certains points qui peuvent éclairer le débat.

Des notions mal connues ou globalement mal employées

Notre premier réflexe consiste à clarifier ces notions afin de savoir de quoi on parle.

La « dictature » est un régime politique où tous les pouvoirs sont concentrés chez un dirigeant unique ou un parti unique. Le mot est donc inadéquat pour un régime basé sur des élections entre différents partis, et où les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) sont séparés. 

Le « régime autocratique » est une forme de gouvernement où le dirigeant est souverain de son peuple ; il possède toute l’autorité. Là encore, l’expression est impropre pour qualifier un régime où les pouvoirs sont séparés. 

Le « régime totalitaire », point ultime de l’autocratie, est un régime qui se caractérise d’une part par un contrôle de la vie politique avec un parti unique et une police politique au service du parti, d’autre part, par le contrôle de l’économie (planification), et enfin, qui encadre la société et contrôle les esprits grâce à la propagande, la censure et le culte de la personnalité. La liberté de critique politique (cf. notre précédent article) suffit à écarter ce type de régime.

Le terme de « fascisme » fait référence à un contexte historique bien particulier : l’Europe des années 1920-1930. Il s’agit d’un système politique qui se rapproche du totalitarisme. Il est établi pour la première fois en 1922 par Benito Mussolini en Italie. C’est un système nationaliste (exaltation de la nation), populiste (démagogie dirigée vers le peuple) et autoritaire. 

Enfin, on peut également entendre le terme de « Monarchie présidentielle ». La notion est apparue dans les années 1970, crée (ou du moins popularisée) par Maurice Duverger, un politologue français. Il est le premier à mettre en avant le concept de « monarchie présidentielle » (ou « monarchie républicaine »). Il s’agit d’un oxymore : « Monarchie » et « présidentielle » (ou « républicaines ») sont deux notions contraires ; nous pouvons même dire qu’elles s’opposent totalement. Cette expression donc de « monarchie présidentielle » est un paradoxe péjoratif qui vise à nuancer le caractère républicain du régime « qui donne des rois » grâce à l’élection du président de la République au suffrage universel à partir de 1962. Un « monarque républicain » est donc un président de la République qui exerce un pouvoir de nature monarchique.

Cette lecture de notre régime politique a marqué les esprits, elle a le mérite de pouvoir à la fois viser le pouvoir présidentiel fort prévue dans la constitution, ainsi qu’une certaine forme de pratique du pouvoir, perçue comme « au-dessus » du reste du monde politique.

Un usage raisonné et averti de ces termes est fondamental pour éviter des approximations coupables lorsque l’on tente de faire vivre notre régime politique. De plus, toute critique mal formulée s’en trouve légitimement discréditée, ce qui est catastrophique pour le débat démocratique.

Reste que la critique de notre régime est réelle, et tout à fait audible : sommes-nous encore dans une démocratie, principe essentiel de notre république ? Ne faudrait-il pas opter pour une démocratie plus directe ? Le mot est lâché…

La démocratie directe. Un exemple athénien lointain mais riche d’enseignements

Nous nous sommes penchés sur ce qu’est la démocratie, ce qu’elle était vraiment, revenir sur ses racines, celle d’une démocratie des plus directes qui soit.  Cette démocratie a vu le jour au Vème siècle av. J-C à Athènes. Il semble essentiel de s’interroger sur la nature de ce mot si connu des européens : « démos» désigne le « peuple », et « kratos» désigne le « pouvoir » donc « Le pouvoir au peuple ».

L’organisation du système institutionnel est bien connue, et représentée par un schéma très clair dans tous les manuels d’Histoire de 6èmeet de 2nde. La démocratie athénienne se caractérise donc par un cadre institutionnel assurant la participation du plus grand nombre aux affaires communes. L’ assemblée (ecclésia) se réunissaient sur la colline de la Pnyx. Il s’agit de l’institution phare de la démocratie athénienne puisque que c’est là où étaient votées les lois. Pour préparer ces lois et organiser les débats, 500 citoyens athéniens étaient tirés aux sort chaque année, ils composaient la Boulé. Enfin, le pouvoir  judiciaire était confié à l’Héliée, un tribunal composé de 6000 Héliastes, titrés au sort, pour trancher les affaires, qui sont extrêmement nombreuses.

Tous les citoyens pouvaient donc participer aux votes, d’où la qualification de démocratie directe : pas de représentants, juste des citoyens. Pour permettre aux plus pauvres de participer au pouvoir, une compensation financière journalière était accordée : le misthos, institué par Périclès. L’ecclésia était réunie 40 fois par an, l’ordre du jour étant affiché sur l’agora, le cœur de la vie politique. N’importe qui pouvait prendre la parole, c’est l’égalité de droit : l’isonomie instituée par Clisthène en 508-507 av. JC. Chaque session était précédée d’un sacrifice (vie religieuse et vie politique étaient intiment liées à Athènes). Les votes s’effectuaient à main levée, sous le contrôle des Prytanes. Voilà pour le tableau.

Mais comment est née la démocratie ? Rappelons qu’avant le Vème siècle, Athènes était dirigé par des familles nobles (système oligarchique) ou encore par un homme (tyrannie) notamment lorsque le pouvoir était dans les mains de Pisistrate (561-527 av. JC). Schématiquement, le passage progressif de l’aristocratie à la démocratie se fit par l’importance grandissante des hoplites (les soldats) dans les victoires militaires athéniennes. En effet, les hoplites n’avaient alors pas de citoyenneté juridique. De ce fait, leurs revendications furent de plus en plus évidentes : chaque homme qui est soldat doit avoir accès au pouvoir juridique. Les mêmes droits pour tous ceux-là ! 

Aristote écrit dans sa Politique que la démocratie désigne une certaine distribution du pouvoir, marquée par le règne de la loi majoritaire. Cependant, derrière ce tableau institutionnel qui a l’air bien statique, se cache une autre réalité plus agitée, plus humaine : 

Lors des assemblées, les insultes fusaient, des violents conflits éclataient entre les magistrats. Il fallait un grand courage pour prendre la parole, et il était difficile (voire quasiment impossible) de s’y faire entendre. Ainsi, les cris lancés à Cléon, l’un des principaux hommes politiques d’Athènes, relatés au théâtre:

« Espèce de canailles, de fripouille gueularde, tout le pays est plein de ton audace, toute l’Assemblée, la finance, la greffe et les tribunaux, espèce de farfouilleur d’immondices qui a mis sens dessus dessous la ville entière »

Aristophane, Les cavaliers, représentée en 425 av. JC

Reconstitution de la Pnyx. 1er état (460-404 av. JC) et 2ème état (IVe siècle av. JC) – Source: ascsa.net

Au sein de l’Héliée, certaines personnes auraient développés la « maladie du patron » : la «Judicardite » pour : 

« C’est ça qui le démange : juger ! Il faut toujours qu’il siège sur le premier banc des juges, sinon il braille !»

Aristophane (Les Guêpes, vers 86-110)

Il compare également ces citoyens à des abeilles ou encore à des bourdons, faisant ainsi référence à la cire qu’il convenait de gratter pour condamner un prévenu. Plus l’héliaste désirait une lourde peine, plus il devait gratter la cire d’une sorte de tuyau prévu à cet effet. Aristophane décrit alors non sans malice des citoyens ayant beaucoup de cire sous les ongles, puisqu’il passait leurs temps à condamner d’autres citoyens. 

« Il est si hargneux qu’il raie ses tablettes de bout en bout pour mettre la peine maximum à tout le monde ; et quand il rentre, on dirait une abeille ou un bourdon : il a plein de cire sous les ongles ! »

Ces agitations, ces défaillances rendent le système athénien plus intelligible et plus proche de nos sociétés contemporaines. Il commence également à rendre difficile son idéalisation. Mais l’Histoire de la cité des Athéniens nous pousse de plus en plus à relativiser cette proximité avec le présent, puisqu’elle nous montre une réalité difficilement transposable dans le temps.

Une difficile transposition dans le présent

Tout d’abord, la cité athénienne s’étendait sur un petit espace (seulement 2 500m2), et seulement 45 000 hommes (soit 15% de la population) étaient citoyens, puisque rappelons le, seuls les hommes majeurs nés de parents citoyens athéniens étaient citoyens. La citoyenneté politique excluait les femmes, les esclaves et les métèques. Les libertés athéniennes sont difficilement comparables avec celle prônées par les Droits de l’Homme modernes.

La notion complexe de politeia, difficilement traduisible en français, reflète deux réalités. D’une part, elle prend une valeur individuelle : elle relate les droits et devoirs d’un citoyen athénien, aussi bien dans les institutions politiques que dans les rituels communautaires (les pratiques religieuses). D’autre part, la notion de politeia prend une dimension plus globale, commune : elle exprime le régime politique de la communauté. Dans les deux cas, cette notion touche aussi bien l’aspect juridique et politique que l’aspect communautaire et religieux.

La notion complexe de politeia, difficilement traduisible en français, reflète deux réalités. D’une part, elle prend une valeur individuelle (…) D’autre part, (…) une dimension plus globale, commune…

Aristote, philosophe grec de l’Antiquité, a tenté de fixer une définition claire du terme de politeia. Il définit ainsi le citoyen :  « Quiconque a la possibilité de participer au pouvoir délibératif [les héliastes] et judiciaire, nous disons dès lors qu’il est citoyen (politès) de cette cité ». Il ajoute : « nous appelons cité (polis) la collectivité des individus de ce genre en nombre suffisant pour vivre, en un mot, en autarcie ». Cette définition est cependant perçue comme trop simpliste et ne reflétant pas l’ensemble de la notion. De plus, les femmes n’étaient certes pas citoyennes sur le plan politique (elles étaient même qualifiées d’« anti-citoyennes »), mais elle l’étaient sur le plan religieux. Or, dans la définition que donne Aristote, la citoyenneté s’arrête au simple fait de participer aux institutions politiques.

les femmes n’étaient certes pas citoyennes sur le plan politique (…), mais elle l’étaient sur le plan religieux

Aristote était difficilement controversable : il était et reste un grand philosophe dont les idées ont longtemps été « sacrées ». Mais de nos jours, nous pouvons nuancer ses propos et établir quelques corrections à cette définition très arrêtée de la citoyenneté. Selon le régime politique du pays, la notion de citoyenneté (qui engendre droits et devoirs) varie : en démocratie, le citoyen n’a pas les mêmes droits et devoirs que dans une oligarchie ou une tyrannie. Ce point est vrai pour Athènes comme pour notre monde moderne. D’ailleurs, Aristote le reconnaît lui-même : sa définition s’adapte difficilement à d’autres régimes que la démocratie.

Finalement, si l’on élargit la définition de « citoyen », nous englobons à la fois le pan politique, administratif et judiciaire, mais aussi la participation aux rituels sacrés et à la vie communautaire.

Ainsi, hommes, femmes, métèques et esclaves trouvent leur place dans cette définition qui s’en trouve par la même difficilement transposable à notre époque. En effet la multitude des dimensions de la politeia et l’aspect éminemment collectif de celle-ci ne sont pas compréhensibles à notre époque. Et encore, il faut savoir de quel collectif nous parlons…

la multitude des dimensions de la politeia et l’aspect éminemment collectif de celle-ci ne sont pas compréhensibles à notre époque

Mais si, comme le souligne Vincent Azoulay, le demos (peuple) ne devait pas seulement s’entendre au sens politique du terme, mais tout autant de façon sociologique comme le groupe des citoyens pauvres (le « petit peuple ») exerçant son pouvoir sur l’élite ? Alors la démocratie prend une toute autre couleur…

La démocratie comme contrôle sur les élites athéniennes

La démocratie peut donc, dans l’acceptation sociale du terme, s’entendre comme une hégémonie du démos.

Les « élites athéniennes », expression désignant les personnes qui possédaient une certaine influence dans le cadre politique d’Athènes, étaient soumises durant leur mandat à une pression très forte venant du peuple.

En effet, les citoyens athéniens avaient la possibilité d’arrêter abruptement le mandat de leurs magistrats. A chaque fin de mois, les Athéniens votaient à main levée pour confirmer la poursuite des mandats, les magistrats ou stratèges (chefs des armées) pouvaient donc, en cas de vote négatif être recalés et perdre leur rôle politique ne serait-ce qu’un temps. C’est ce qui arriva à Périclès lui-même en 430-429 avant J.-C.

Il y avait également une autre procédure qui planait au-dessus de leur tête, l’eisangélie : la poursuite pour haute trahison. La « haute trahison » n’avait pas le même sens pour les Athéniens que pour nous aujourd’hui. Un soupçon ou simplement la perte d’une bataille suffisait pour qu’un tel jugement ait lieu. Après la bataille des Arginuses ( 406 avant J.-C. ), les généraux furent jugés et exécutés pour ne pas avoir pu retrouver les corps des marins athéniens dans l’eau, et ce alors qu’ils avaient remporté la bataille.

Pour finir dans les procédures juridiques, il y avait également la procédure de l’ostracisme. L’ostracisme consistait à exiler une personne considérée comme trop influente ou puissante d’Athènes pour une durée de dix ans, afin d’éviter un retour à la tyrannie.

les élites vivaient sous la pression du peuple et devaient, pour garder leur place, se conformer aux attentes dudit peuple

Ainsi, les élites vivaient sous la pression du peuple et devaient, pour garder leur place, se conformer aux attentes dudit peuple. Les Athéniens faisaient pression également par la diffusion de rumeurs. Véritable « déesse aux cent bouches » qu’ils vénéraient à cette époque, elle constituait un moyen selon Eschine de « connaître partout sans mentir tous les faits et gestes des hommes ». Au théâtre, où les acteurs et poètes s’en prenaient publiquement aux plus engagés de la vie politique, ils étaient parfois ridiculisés et critiqués sans tact. Le peuple s’en prenait à eux en les jugeant dans leur globalité, au sujet de leurs actions publiques ou de leur comportement dans un secteur bien plus privé.

Partant principalement du théâtre, les rumeurs se diffusaient souvent dans les lieux moins formels, les échoppes, dans les rues ou au sein de réunions privées (comme dans des associations ). Bien que certaines soient totalement infondées, que la véracité reste parfois à revoir, les rumeurs du peuple avaient une influence toute particulière sur l’élite d’Athènes qui devait se plier et se contorsionner pour convenir aux exigences du peuple. Dans sa biographie de Péricles, Vincent Azoulay décrit comment le stratège renonçait à des profits économiques en vendant d’un coup la production agricole de son domaine afin de ne pas être accusé de profiter des pénuries. Également, il renonçait à se rendre aux mariages de riches citoyens qui l’avaient invité, pour ne pas être soupçonné de connivence avec les riches. Plus généralement et même à la tribune de l’ecclésia, où le peuple se comportait de manière imprévisible, les orateurs devaient se débrouiller avec les réactions parfois brutales du peuple, qui ne se gênait pas pour manifester leur accord ou leur désaccord par le biais d’applaudissements ou de protestations.

Pour résumer, l’élite d’Athènes avait au-dessus de sa tête une épée de Damoclès, en la personne du peuple. La pression était telle que les dirigeants se devaient de rentrer dans le moule édicté par le démos, sans quoi ils étaient chassés de leur piédestal. On peut donc parler clairement d’une domination hégémonique du peuple sur ses élites.

Une démocratie plus vertueuse ?

Sans se rendre coupable d’anachronisme, il nous semble intéressant de nous poser la question de notre appréhension de la démocratie du point de vue moral. Comme la conception de ce qui est bien ou mal dépend évidemment du contexte historique dans lequel nous vivons, nous sommes en droit de nous demander si l’exemple athénien de démocratie directe nous parait plus vertueux que notre régime politique. La participation directe des citoyens au pouvoir est séduisante, même si encore une fois, cette participation était à la fois collective et individuelle, politique et religieuse, partiellement ouverte aux femmes qui restaient exclues du pouvoir politique par les institutions. Le fonctionnement concret du système institutionnel requiert d’entrer encore un peu plus en profondeur dans l’histoire de la cité.

A la suite des guerres médiques, Athènes décida de créer une alliance, la Ligue de Délos, avec différentes cités grecques. Ces dernières devaient payer les Athéniens en échange de leur protection contre un éventuel retour des Perses. Le trésor commun était gardé sur l’île de Délos ; cela explique donc le nom de l’alliance. Ces retombées financières aidèrent dans un premier temps à la protéger. Les athéniens armèrent d’avantage les trières (leurs navires de guerre), payèrent 200 personnes par navire et quelque 20 000 hommes chargés de l’administration de l’alliance.

            Pourtant, bien vite, cet argent servit des intérêts beaucoup plus liés à la vie intra-muros d’Athènes : construction de monuments dans la cité et notamment le célèbre Parthénon. Mais c’est surtout la démocratie qui bénéficia le plus de ce trésor. En effet, à la fin des années 450, des indemnités de participation civique (les misthoi) furent créées afin de garantir aux plus pauvres un accès au pouvoir. Les citoyens en charge de leur rôle politique pouvaient continuer à vivre sans leur travail avec ce salaire. 

cet outil hautement démocratique que fut le misthos fut permis et financé par l’impérialisme athénien.

Ainsi, la démocratie athénienne prit de l’ampleur et devint plus concrète. Elle a laissé au placard la théorie pour définitivement instaurer sa mise en pratique. Reste que cet outil hautement démocratique que fut le misthos fut permis et financé par l’impérialisme athénien.

L’empire athénien au IVe siècle – Source: V. Azoulay, Documentation photographique (Juin 2016)

            De plus, les Athéniens les plus pauvres réussirent à gravir l’échelle sociale et politique grâce aux révoltes de certaines cités de la Ligue de Délos qui comprenaient toute la fourberie cachée derrière l’alliance.  Ces mêmes cités se virent imposer un régime démocratique ainsi que plusieurs soldats venant d’Athènes y élisant domicile. Ces derniers, toujours citoyens athéniens, prirent les terres des habitants des cités conquises et les firent cultiver par les locaux. Chaque révolte des cités de la ligue était durement réprimée (notamment celle de Samos), matée dans le sang, pillée, les hommes mis en esclavage… Le butin perçu lors de ces répressions venait encore une fois alimenter le trésor athénien et se traduisait par une attribution du misthos à un nombre de plus en plus important de charges, renforçant alors l’appareil démocratique athénien.

Chaque révolte des cités de la ligue était durement réprimée (notamment celle de Samos), matée dans le sang, pillée, les hommes mis en esclavage… (…) renforçant alors l’appareil démocratique athénien.

            Pour autant, il est important de souligner, que même si la démocratie athénienne a été considérablement aidée par la Ligue de Délos, elle ne reposait pas uniquement sur les épaules de l’alliance. Quand cette dernière s’est effondrée, Athènes a perdu tous ses contributeurs financiers. Malgré tout, la démocratie ne disparut pas et s’approfondit encore plus. Quelque temps après 403 avant J-C, Athènes créa l’indemnité de participation à l’Assemblée pour que l’ensemble des citoyens puissent assister aux réunions. 

On peut cependant affirmer avec Vincent Azoulay que l’hégémonie impérialiste athénienne fut un levier considérable de leur système démocratique.

Le démos est donc bien athénien et non humain.

En conclusion, nous retenons que la démocratie athénienne, perçue par beaucoup comme un exemple idéal de démocratie directe, fut un système politique exceptionnellement novateur qui vit la participation directe des citoyens au pouvoir. Mais il s’agit de la lire dans son contexte historique pour saisir l’étendue des différences avec notre système de valeurs. La politeia grecque, notion éminemment complexe, doit se comprendre à la fois comme un ensemble de droits individuels et comme ce qui définit la communauté politique et religieuse. Les droits sont ceux des citoyens de la cité, et non d’une humanité abstraite inconcevable à l’époque. Le démos est donc bien athénien et non humain.

De plus, la mise en œuvre de ce système de participation directe des citoyens au pouvoir est indissociable d’une forme d’hégémonie du petit peuple sur ses élites, elle n’est en rien une égalité de droits, ce qui l’éloigne des principes républicains de notre régime. Enfin, elle fut rendue possible par un impérialisme affirmé et assumé sur les cités de la Ligue de Délos, qui se traduisait par une domination violente.

L’étude de l’exemple athénien nous permet de comprendre que notre régime actuel n’est évidemment pas une « démocratie » au sens pur et originel du terme, les citoyens ne participant pas directement au pouvoir. De nombreuses voix à gauche comme à droite le critique pour cette raison.

Mais alors de quoi s’agit-il ? Ce sera le thème de notre prochain article.

Par Livia Choulet, Léonie Digny, Albane Lazert et Sila Ulker,

Sous la direction de Youri Aguilaniu

« Manu dans l’cul », quand la contestation de Damien Saez frôle l’antirépublicanisme

Damien Saez, un artiste engagé

Auteur, compositeur, interprète français, Damien Saez se démarque par sa maîtrise des mots. Des attentats à la prostitution en passant par la pauvreté, l’alcool et les réseaux sociaux, il traite d’un grand nombre de sujets dans des textes toujours très engagés. Il se revendique chanteur populaire qui défend les droits du peuple et des travailleurs. 
Damien Saez affiche clairement et fièrement ses penchants politiques : il s’inscrit dans une culture d’extrême gauche antilibérale d’inspiration marxiste, qui perçoit la société en termes de lutte des classes.  

En 2019 est sorti le titre « Manu dans l’cul », d’abord en libre téléchargement et sur YouTube, puis dans son dernier album « Libertaire » (novembre 2019). Ce titre résonne comme une sorte d’hymne qui guide les Gilets Jaunes en France. D’ailleurs, des montages YouTube créés par des amateurs (et non-pas par Damien Saez), réalisent des clips avec les images des manifestations du mouvement.

Toutefois, Saez rapproche ce mouvement des Gilets Jaunes (« tags sur la place de l’étoile »), sans cependant les nommer, de la classe ouvrière (« manif d’ouvrier »), des pauvres dont «les enfants bouffent des clous » et des résistants (« nous serons Jean Moulin »). 
Or, ces comparaisons ne sont pas rigoureusement justes. Les gilets jaunes ne sont ni majoritairement des ouvriers, ni des chômeurs en grande précarité qui, s’ils vont en prison, auront au moins « une piaule pour avoir chaud jusqu’à demain ». En effet, au départ, il s’agissait d’un mouvement de petits propriétaires périurbains qui protestaient contre la hausse du prix du carburant. Il s’est ensuite étoffé de mutltiples franges de la société qui lui ont donné cet aspect multiforme. Bien sur, la confusion « gilet jaunes : ouvriers, pauvres, sans-dent, jean Moulin… » lui permet plus facilement (mais moins rigoureusement) de s’inscrire dans des traditions marxiste et résistante.

Critique antiparlementaire et utilisation de la violence

Dans « Manu dans l’cul », Damien Saez fait doublement preuve d’antiparlementarisme. D’une part il critique le système, qu’il ne juge pas assez représentatif de toutes les classes sociales :

« Et les vendus parlent de république,

avec leur gueule de pathétique,

VRP du grand capital

pleurent sur un tag place de l’étoile 

(…) Démocratie s’est trop vendue

Frangine t’as trop donné ton cul »

D’autre part, il s’attaque aux parlementaires (les députés), en les accusant par exemple d’avoir tué la démocratie par leur manque de représentativité :

« Démocratie morte et enterrée,

sang sur les mains des députés ».

S’en prend-il aux hommes élus ou au système représentatif et au Parlement en soi ?

Ces deux formes d’antiparlementarisme qui parfois se complètent doivent cependant être distinguées. La question reste entière : Damien Saez fait preuve d’antiparlementarisme, mais s’attaque-t-il au système parlementaire dans sa globalité ou aux députés de ce système ? S’en prend-il aux hommes élus ou au système représentatif et au Parlement en soi ?

Quoiqu’il en soit, la critique est pro-démocratique et défend donc les valeurs républicaines.

La question de la violence est également épineuse. Cette chanson, sur le plan juridique, n’est pas à proprement parler un appel à la violence dans la mesure où Damien Saez n’incite pas les gens à être violents. Il se contente de donner son point de vue quant à l’évolution de la violence future envers le Gouvernement. 
Cependant, la virulence de ses paroles, la haine qui transparait de la vulgarité de son vocabulaire, le ton de sa voix, son timbre caractéristique produisent chez l’auditeur un effet ressenti très fortement comme un appel à la violence.

« quand on va passer t’voir,

salope ouais pour régler la note,

pour t’foutre la fessée cul nul,

pour t’foutre la tête au fond des chiottes (…)

Ouais sur c’est pas qu’un coup à boire

mon pote que tu vas prendre dans l’fion »

La violence peut être utilisée dans la musique (…) dans le but de choquer, ou de dénoncer quelque chose. Mais lorsque cette violence est trop importante et vigoureuse, elle devient oppressante et le message se perd

En réalité, Damien Saez utilise des images et des propos violents pour illustrer ses dires, mais n’incite pas directement à la haine envers le Président de la République. Seulement, cette violence est-elle utilisée à bon escient?
La violence peut être utilisée dans la musique (ou dans d’autres milieux comme la politique, la littérature, l’art, etc.), dans le but de choquer, ou de dénoncer quelque chose. Mais lorsque cette violence est trop importante et vigoureuse, elle devient oppressante et le message se perd. La frontière entre la revendication par la colère et la vulgarité étant mince, l’utilisation de la violence devrait peut-être être justifiée et dosée. Cependant, et ceci a été remarqué au sein des auteurs de l’OAR, certains d’entre nous peuvent être dérangés par la vulgarité omniprésente. L’accumulation de violence devient oppressante et parfois dérangeante.

Une atteinte au Président de la République et à son entourage

Damien Saez s’attaque au Président de la République en tant qu’homme : il s’attaque plus à Emmanuel Macron qu’à son statut de dirigeant. Pourtant, tout au long de la chanson, la frontière est mince et la confusion de nombreuses fois possible. Il associe bien sûr l’homme à son statut de Président, mais lorsqu’il s’adresse à lui, c’est via le surnom « Manu », et en le tutoyant, ce qui montre l’importance qu’il porte à l’homme qu’est Emmanuel Macron dans ses paroles plus qu’à l’homme politique. 


Ainsi, nous pouvons nous poser la question : Damien Saez (qui se pose en porte-parole du mouvement des Gilets Jaunes dans sa chanson) accuse-t-il l’homme ou ses actions de Président ? Damien Saez reproche à Emmanuel Macron ses réformes, mais à côté de cela, le fait même qu’il interpelle le Président de la République par un surnom et en le tutoyant montre qu’il veut le rattacher à son statut de « simple » citoyen français. Nous trouvons que cette confusion est parfois dérangeante, et qu’elle dessert son engagement.

Damien Saez s’attaque au Président de la République, en tant qu’homme


Ces paroles entrent-elles dans le contexte d’Offense au Chef d’État ? Et qu’en est-il de la loi ?

Entre 1881 et 2013, il existait une loi contre l’offense au chef d’État (l’article 26 de la loi sur la liberté d’expression) qui stipulait que « toute expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire, qui, à l’occasion tant de l’exercice de la première magistrature de l’État que l’atteinte dans son honneur ou dans sa dignité » serait répréhensible. Dans la Vème République, seul Georges Pompidou y eut recours, mais le procès n’aboutit pas. 
Suite à la polémique autour de l’ « affaire Hervé Eon » en 2008, Nicolas Sarkozy avait saisi le tribunal et fait appel à cette loi d’Offense au Chef d’État. Pour rappel, Hervé Eon avait brandi un écriteau devant le président Sarkozy sur lequel était inscrit « casse-toi pov’con » reprenant la célèbre saillie du même président au salon de l’agriculture face à un spectateur refusant de lui serrer la main. Mais un élément posait problème : punir Hervé Eon, qui n’avait fait que reprendre les paroles du Président, était perçu comme une dissuasion à la satire et donc une entrave à la liberté d’expression. Dès lors, le délit d’offense au chef d’État fut supprimé par la loi du 5 août 2013. 


De nos jours, il est encore possible pour le Président de la République de porter plainte pour diffamation et atteinte à son intégrité. Le délit tombe sous le coup de « l’injure ou la diffamation » (article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de presse).

Donc, malgré une violence marquée dans sa voix et ses propos, Damien Saez n’appelle encore une fois pas directement à la violence contrairement à des actions de certains manifestants contre la réforme des retraites, qui, en janvier dernier, avaient planté une effigie de la tête d’Emmanuel Macron au sommet de longs pieux. Ces actes furent qualifiés d’« absolument et totalement condamnables » par Robert Badinter dans l’émission « C à Vous » sur France 5 (27/01/2020) dans laquelle celui dont le combat pour l’abolition de la peine de mort en France avait montré son indignation devant un tel symbole.  Cet exemple est un appel franc à la violence, de plus fortement connoté : « Derrière le symbole, il y a la pulsion. Et cette pulsion c’est la haine […] Vous faites ce que vous voulez mais pas la violence physique, l’agression, la symbolique de la mort » (Robert Badinter).

Saez s’inscrit dans une tradition clairement misogyne des attaques des « premières dames » ou des reines qui (…) attachent une connotation sexuelle et généralement dégradante à la critique de ces femmes proches du pouvoir

Ensuite, en critiquant et attaquant l’intégrité de la Première Dame, Brigitte Macron, Damien Saez s’inscrit dans la continuité d’une tradition de critique de la Première Dame. A plusieurs reprises, il fait allusion (plus ou moins explicitement) tantôt à l’âge de Brigitte Macron, tantôt à sa sexualité : « Ouais Manu rentre chez toi puis va baiser ta vieille ». Cette tradition remonte à l’époque moderne et notamment sous le règne de Louis XVI : des représentations de Marie-Antoinette ont émergé à travers une multitude de pamphlets avec la montée de la critique du Roi et de la monarchie.

Ainsi, Saez s’inscrit dans une tradition clairement misogyne des attaques des « premières dames » ou des reines qui depuis au moins le XVIIIème siècle attachent une connotation sexuelle et généralement dégradante à la critique de ces femmes proches du pouvoir. Les critiques misogynes de Marie Antoinette n’ont pas attendu la contestation politique de la monarchie, « La reine était perdue de réputation bien avant la révolution » (Albert Mathiez). Des hommes qui attaquent des femmes avec ces arguments, ou des détails aussi grossiers ne peuvent qu’être animés d’un sentiment de supériorité machiste.

Enfin, en usant de la qualification de « veille » pour parler de Brigitte Macron, en plus de ne rien apporter à la critique politique, Saez s’éloigne ainsi de sa volonté première qui est de critiquer le Président, et il se perd dans des arguments qui discréditent totalement les valeurs que dit porter l’artiste.

Damien Saez, un artiste qui prône des valeurs républicaines

Pour conclure, Damien Saez n’est pas antirépublicain ; il revendique même des valeurs humanistes, d’égalité et de liberté. Il critique notre système politique pour son manque de démocratie avec des paroles parfois violentes mais engagées. 
En observant les paroles de Damien Saez, en écoutant sa discographie et en prenant du recul, nous comprenons que ses textes n’ont pas pour objectif d’entraver la démocratie, mais plutôt la remettre en question.

Ensuite, en s’en prenant ainsi à la Première Dame et au Président de la République en frôlant les limites de la loi, Damien Saez dessert sa chanson par des expressions vulgaires, et par la même occasion son message qui est celui des Gilets Jaunes. Le geste artistique aurait pu être plus intéressant s’il était parvenu à ne pas tomber dans un populisme peu constructif, car Manu dans l’cul, prise au premier degré, ne dégage pas le message attendu de révolte et de lutte contre l’oppression. Damien Saez a peut-être cédé à la facilité de la provocation brute, ce qui rend la perception de son message bien plus ambigüe. Il faut analyser ses paroles pour passer outre la violence omniprésente qui nous frappe à la première écoute, et dont il est difficile de se détacher. Elle prend trop de place dans sa chanson et masque les revendications.

En aparté, il est important de souligner l’aspect technique de la chanson, qui donne du poids aux paroles. D’une part, Damien Saez fait un clin d’œil à Renaud en reprenant sa phrase « Eh Manu rentre chez toi », amorce de la chanson Manu de Renaud (1981), dans laquelle il s’adresse à un ami au cœur brisé qui traîne les bars. Cet hommage au chanteur du petit peuple qu’était Renaud dans les années 1980, se retrouve aussi dans le rythme du dernier refrain (où plusieurs voix se superposent) ce qui est sans rappeler certains titres de Renaud comme Dès que le vent soufflera (1983) par exemple. 
De plus, la mélodie sonne comme un chant révolutionnaire, de même que le rythme qui rappelle fortement les chants révolutionnaires des années 1790.

Damien Saez s’inspire donc de son environnement et de l’actualité pour déclamer ses opinions politiques, il s’inscrit dans une tradition de critique sociale caractéristique de l’extrême gauche.

Mais avant tout, il soulève là une question brûlante d’actualité qui dépasse largement le simple avis de l’artiste ou les opinions d’extrême gauche : est-on actuellement en France dans une démocratie ?

Cela sera le thème de notre prochain article.

Par Albane Lazert,

en collaboration avec Livia Choulet, Léonie Digny et Sila Ulker, sous la direction de Youri Aguilaniu.

Discours d’Éric Zemmour à la convention des droites (28 septembre 2019)

Samedi 28 septembre 2019, à Paris, s’est déroulée la convention de la Droite : un grand rassemblement politique censé réunir des élus, entrepreneurs, écrivains de la droite française afin de réfléchir sur les problèmes et défis de la société, et de trouver « une alternative au progressisme ». Il est à noter que les interventions les plus médiatisées furent celles de deux personnes non-élues : Marion Maréchal (ancienne élue du Front national qui a officiellement quitté la vie politique) et le polémiste et chroniqueur Éric Zemmour dont le discours fut retransmis en intégralité (plus de 30 minutes) et en direct sur LCI. Ce discours représente de notre point de vue une nouvelle étape dans la rhétorique antirépublicaine tout en s’inscrivant dans une longue tradition idéologique qu’il est éclairant de révéler. Enfin, le rapport à l’Histoire de Zemmour nous interroge sur sa méthode et sur les conséquences de celle-ci. Décryptage.

Une opposition aux valeurs et principes de la République

La nouveauté, c’est la frontalité de l’attaque aux valeurs et républicaines, héritage de la Révolution, et aux principes qui en découlent. L’histoire nous apprend que les mentalités sont en perpétuelle évolution, que les manières de vivre et de penser changent, les valeurs portées par un régime se construisant en suivant ces transitions.  Liberté – Égalité – Fraternité. Nous connaissons toutes et tous ces trois mots, nous les lisons tous les jours sur les murs des mairies ou des écoles, nous les avons intégrés comme les premières valeurs républicaines construites au fil de l’histoire de France. Ce sont ces évolutions auxquelles s’oppose Éric Zemmour. Il revendique un attachement aux traditions, et le montre par la condamnation de la PMA, la prise en dérision des mouvements « LGBT et autres X Y Z… » ou le mépris du féminisme dans la société actuelle. Notre point de vue n’est pas de prôner ou de critiquer ces évolutions, mais de les observer pour ce qu’elles sont : des faits historiques.

En s’attaquant essentiellement à l’islam et aux musulmans, il crée un « autre » au sein de la société, un « autre » hostile contre lequel il faut lutter, niant ainsi l’égalité de droit républicaine

Le discours du polémiste segmente la population française en fonction des sexes, des couleurs de peau ou des croyances religieuses. En s’attaquant essentiellement à l’islam et aux musulmans, il crée un « autre » au sein de la société, un « autre » hostile contre lequel il faut lutter , niant ainsi l’égalité de droit républicaine. On peut donc parler d’une diabolisation de ceux qui, d’après lui, seraient nos ennemis communs, ceux qui auraient pour but d’exterminer « l’homme blanc hétérosexuel et catholique».  Zemmour réinvestit ainsi la théorie du « Grand Remplacement », popularisée par Renaud Camus (mais qui selon Gérard Noiriel remonte à Maurice Barrès et Edouard Drumont). Il se donne le rôle d’ouvrir les yeux des français dits « de souche ». Il exhorte les jeunes générations à refuser d’être « minoritaires sur la terre de leurs ancêtres», à se préparer à lutter contre « l’envahisseur», à se battre physiquement. D’après lui, « la laïcité, l’intégration, l’ordre républicain, l’État de droit, le vivre-ensemble, la république, … » ne sont que des « vieux mots » vidés de leur sens et qui « ne veulent plus rien dire», il faut leur tourner le dos et ne plus s’y accrocher comme… Charles X (dernier roi aux ambitions absolutistes) s’accrochait au sacre royal ! 

… il trouve ridicule de s’efforcer à rendre égaux ce qui ne le sera jamais dans la nature.

Selon le polémiste, la Liberté n’est plus, ou alors elle ne subsiste uniquement pour un petit groupe d’individus qu’il nomme les « bon penseurs ». En revanche pour lui et la « majorité » la liberté a disparu. Ainsi, elle serait « rendue au silence et tétanisée », ce qui le pousse à dénoncer une censure imposée injustement et inévitablement. Mais c’est sans doute sa critique de l’égalité qui est la plus claire : il trouve ridicule de s’efforcer à rendre égaux ce qui ne le sera jamais dans la nature. Cette thèse simple n’est pas nouvelle et est déjà défendue par le sophiste grec Calliclès, un personnage (fictif ou historique), du Gorgias de Platon, incarnant une figure amoraliste et profondément oligarchique. L’opposition constante entre les français (« nous») et les étrangers (« eux»), creuse un peu plus à chacun de ses mots, le fossé qui sépare ces deux « parties ». Ce clivage tournant même à l’appel à la violence et à l’incitation à la haine raciale (pour lesquelles Éric Zemmour a déjà été pénalement puni) s’opposent au vivre-ensemble et à l’égalité, tout autant qu’à la fraternité.

Les principes de la République française sont également attaqués par l’intervention du polémiste. Indivisibilité, laïcité, démocratie.  L’appel aux « jeunes français catholiques» à ne pas se laisser envahir par les jeunes moins français qu’eux est sur ce point significative. La différence de religion et la date d’installation sur le territoire français deviennent sous sa plume des critères de « francité ». La religion, ou du moins la culture religieuse, impliquerait la nationalité ainsi que la vieillesse de l’arbre planté à notre arrivée dans un pays. Il est très clair ici que Zemmour abat sa hache pour créer une scission entre les français et donc s’attaquer à l’un des principes de la France : l’indivisibilité.

La France, pareille à une palette de peinture, est multiple.  L’État reste neutre. Mais pour Zemmour, Marianne se doit de porter une croix et aucun autre symbole d’une autre religion. En s’attaquant à l’indivisibilité, Zemmour s’attaque aussi à l’un des principes fondateurs de la République : la laïcité.

D’après ces principes républicains, l’« Être français » ne signifie pas être blanc ou catholique mais plutôt considérer comme égaux ses concitoyens.

La religion (…) impliquerait la nationalité ainsi que la vieillesse de l’arbre planté à notre arrivée dans un pays. Il est très clair ici que Zemmour abat sa hache pour créer une scission entre les français…

Ce discours s’inscrit également par bien des points dans une tradition antiparlementaire. Il commence par accuser une falsification des résultats aux élections, comme si les français n’avaient aucun réel pouvoir de décision. Depuis le XIXe siècle, la critique des élus comme forme d’antiparlementarisme existe, mais il faut distinguer la critique du parlement comme une forme imparfaite de démocratie, la critique des hommes parlementaires, et enfin la critique systémique antidémocratique. Zemmour mêle habilement ces trois formes d’antiparlementarisme et poursuit sa diatribe antidémocratique en évoquant les  « radicaux franc-macs » de la IIIème république. La critique de la Franc-maçonnerie est d’ailleurs un leitmotiv du discours antirépublicain qui développe par ailleurs une théorie complotiste contre les députés. Il s’attaque ici directement aux parlementaires : « ventrus » et « vautours » pour le siècle de la machine à vapeur, « corrompus» et « incapables » pour Zemmour.

Si l’intervention du polémiste a pu choquer, c’est qu’elle crée un nouveau possible : on peut désormais critiquer ouvertement les valeurs et principes républicains. Mais cette critique n’a en fait rien de nouveau, tout juste réactualise-t-elle une tradition idéologique bien connue des historiens du XIXème siècle français.

Une tradition historique antirépublicaine

Le nationalisme du discours Zemmourien, sa xénophobie et son idéalisation de l’Ancien régime le rapproche évidemment de Charles Maurras, le chef emblématique de l’Action française. Bien sûr, tout rapprochement historique se doit de prendre des précautions, notamment celles qui s’imposent par des contextes historiques résolument différents. On ne peut certes pas prêter à Zemmour l’antisémitisme de Maurras, ni son antigermanisme lié à son époque, on ne peut pas lui prêter la verve de sa plume non plus. Cependant, le rapprochement de son antiparlementarisme, de son désir de lutte contre l’ennemi extérieur ou intérieur, et de sa quête identitaire le rallie clairement à cette tradition.

Dans son livre Le venin dans la plume (2019), l’historien Gérard Noiriel, directeur d’étude à l’EHESS, opère une comparaison entre Éric Zemmour et Edouard Drumont, journaliste du XIXème siècle et théoricien de l’antisémitisme français. Si l’exercice peut paraitre périlleux d’un point de vue méthodologique, l’historien note de nombreuses similitudes entre ces deux hommes. Sur leur parcours social tout d’abord, puisque les deux hommes rêvaient de devenir écrivains et ont fini par être journalistes ou du moins polémistes. 

Plus signifiant encore, ils manient tous deux une « rhétorique de l’inversion » qui transforme les dominés en dominants : si les juifs de Drumont dirigent La France juive (best-seller de Drumont paru en 1886), les musulmans de Zemmour ont « un plan d’occupation du territoire national ». On note dans les deux cas une déformation de l’Histoire : ils présentent les minorités ayant été persécutées au cours du temps comme des dominants. Ainsi, après avoir expliqué que les européens ont, dans le passé, exploité, massacré et mis en esclavages les indiens d’Amérique, les populations africaines, démographiquement moins dynamiques, il met en garde : « Aujourd’hui, nous vivons une inversion démographique qui entraîne une inversion des courants migratoires qui entraîne une inversion de la colonisation. Je vous laisse deviner qui seront leurs Indiens et leurs esclaves. C’est vous. ».

Gérard Noiriel note aussi chez les deux polémistes une haine sans égale envers les universitaires (notamment des historiens). Ils sont jugés comme adhérant au complot (juif et étranger pour Drumont, islamo-immigrationniste pour Zemmour) en dénaturant l’Histoire de la France. Ainsi, Zemmour a qualifié Patrick Boucheron, historien médiéviste professeur à Paris1 Panthéon-Sorbonne et au Collège de France, de « fossoyeur de l’Histoire de France »pour l’ Histoire mondiale de la France (2017), un ouvrage collectif qu’il a dirigé et qui fait une histoire connectée de la France.

En transformant l’islam en peuple et en niant sa diversité et sa complexité sociale, Éric Zemmour oppose « les musulmans » au « peuple français » ce qui permet la xénophobie…

Leur haine vis-à-vis des juifs ou des musulmans est également très comparable, notamment quant à la personnification de ces deux groupes. Ainsi, Zemmour ne s’oppose pas directement à la religion en tant que croyance,  il considère les musulmans comme un peuple. Nous sommes assez frappés par cette essentialisation qui donne un support concret pour la haine. Nous n’avons pas pu éviter de comparer ce procédé à la transition de l’antijudaïsme vers l’antisémitisme aux XVIIIème et XIXème siècle, où le peuple était plus visé que sa religion. En transformant l’islam en peuple et en niant sa diversité et sa complexité sociale, Éric Zemmour oppose « les musulmans » au « peuple français » ce qui permet la xénophobie et renvoie à un schéma binaire et simplifié. Drumont dénonçait les « élites enjuivées » , Zemmour s‘en prend quant à lui aux « islamo-gauchiste ».

Le discours identitaire est évidemment un autre point de convergence entre les deux discours. On assiste au même procédé d’essentialisation avec ce que Noiriel nomme la « grammaire identitaire » : selon ces deux polémistes, pour être un « vrai français » il faut être un « homme blanc hétérosexuel et catholique ». C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils sont décrits comme les premières cibles des « ennemis de la France ». On note donc un rejet constant des minorités sexuelles, mais également ethniques . 

Afin de faire parler d’eux, Drumont se battait en duel au bois de Boulogne et Zemmour multiplie les clashs sur les plateaux de télé.

Enfin, Gérard Noiriel explique que le rôle des médias dans l’ascension des deux personnages est très comparable. Comme Drumont au XIXème, Zemmour arrive à un moment de transition importante dans histoire des médias : Drumont écrit à l’heure de la massification de la presse et de sa démocratisation, et Zemmour à celle de la révolution numérique et des chaînes d’info continue. Dans ces contextes-là, ces deux figures sont évidemment des « bons clients ». Afin de faire parler d’eux, Drumont se battait en duel au bois de Boulogne et Zemmour multiplie les clashs sur les plateaux de télé. Leurs scandales font couler beaucoup d’encre et de clics, et en conséquence: les médias se les arrachent…

Plus proche de nous, l’histoire de l’antirépublicanisme nous amène aux années 1930 et 1940, période où la rhétorique antirépublicaine cristallisée à la fin du XIXème se fédère s’organise dans des mouvements politiques forts. C’est aussi la période où les régimes autoritaires et totalitaires naissent et se forment en Europe en s’affirmant comme une alternative à la démocratie. Le moins que l’on puisse dire est qu’Éric Zemmour entretient un rapport ambigu à cette période. Si dans ses essais et chroniques, Zemmour multiplie les références à Vichy, affirmant son attachement aux valeurs de l’État français de Pétain, arguant contre tous les spécialistes que Pétain a œuvré pour sauver les juifs de France, il décrit néanmoins les « années trente » comme une période néfaste. Il compare notamment le pacte germano-soviétique à une alliance supposée « des deux totalitarismes droits de l’hommiste et islamique ». De même, Hitler est évidemment décrit comme un dictateur sanguinaire. 

Cette ambiguïté qu’entretient Zemmour sur cette période est également visible à travers ses citations. En une trentaine de minutes, Zemmour cite pêle-mêle Cioran (philosophe nihiliste roumain n’ayant pas caché son admiration pour Hitler et sa sympathie pour le fascisme), Pierre Drieu la Rochelle (écrivain engagé dans la collaboration se décrivant lui-même comme socialiste et fasciste, grand décadentiste), Boualem Sansal (écrivain algérien, défenseur des droits de l’Homme, banni d’Algérie pour ses critiques envers le pouvoir et les religions). Ce dernier s’oppose à l’islamisme et incite l’islam à  « retrouver sa spiritualité, sa force première ». Sa critique de l’islam est fine, argumentée, et non systémique ; elle est en revanche totalement caricaturée par Zemmour. Enfin, les « nombreux bons esprits (qui) comparent l’UE à l’URSS » dont parle Zemmour sont une référence à Vladimir Boukovsky (militant pour les droits de l’Homme russe, prisonnier politique en URSS), Marion Maréchal le Pen, Viktor Orban, …

Une utilisation particulière de l’Histoire

Zemmour, dans son discours, évoque une certaine nostalgie. Son principe du « c’était mieux avant… » ramène à une valeur très conservatrice qui considère la France actuelle comme décadente. Il s’oppose donc à des mouvements actuels et progressistes, tels que les mouvements LGBT, le féminisme, etc.

Il met donc en avant une Histoire simpliste qui ne connaît que deux grandes étapes. Avant 1789, c’était bien. Après 1789 , c’était mal.

Le point de césure : 1789, la Révolution française. Après cela, Zemmour décrit de manière erronée l’état de la France, qui n’a fait que de décliner selon ses dires, sans un élément bonifiant à mettre en lumière. Il met donc en avant une Histoire simpliste qui ne connaît que deux grandes étapes. Avant 1789, c’était bien. Après 1789 , c’était mal. Seulement, l’Histoire ne se limite pas à une telle simplification caricaturale. Elle est beaucoup plus compliquée, plus tordue, ne s’arrêtant pas à un aspect « tout noir » ou « tout blanc ». Il y a du bon et du mauvais dans chaque âge, et d’ailleurs l’Histoire ne peut pas être soumise à un jugement. Pourtant, Zemmour affirme le contraire. Il nous donne ainsi de son point de vue une vision positive de ce qu’était la France avant 1789, c’est à dire avant la république, à l’époque de la monarchie absolue. Il se love ainsi dans une vision illusoire et idéalisée de ce qu’était la France de l’Ancien régime, en repoussant encore et encore les points positifs de la France actuelle.

Durant son discours, Zemmour cite de nombreux exemples tirés de l’Histoire, issu d’une recherche manquant de sérieux. Entre le Moyen-Âge et la guerre d’Algérie, en passant par les années 1930 et le règne de Louis XIV, il cite pêle-mêle les exemples sans cohérence chronologique. Son discours pourrait être comparé à un patchwork historique, où il coud et découd la grande toile de l’Histoire pour lier des éléments qui n’ont aucun rapport entre eux, à part peut-être, l’utilisation qu’il en fait. Ainsi, lorsqu’il cite Charles Martel (calé entre le siège de Vienne de 1683 et la « Guerre du Feu » qui soit dit en passant est un roman ou un film), il y transmet une vision exagérée de la bataille de Poitiers (732) qui selon Henri Pirenne ne fut qu’une victoire parmi d’autres, n’empêchant qu’un simple pillage. D’autres historiens s’opposent à cette version : l’histoire est constituée de débats entre spécialistes. Aucun marqueur de modalisation, aucune nuance chez Zemmour, ce qu’il dit est « vrai ». Ainsi désarticulés, coupés de leur source et de leur origine, ces exemples peuvent être interprétés et convoqués à loisir, pour prouver l’idée de départ du polémiste, au détriment de la cohérence du récit historique. 

Il pioche à différentes époques des exemples appuyant ses arguments antirépublicains. Pouvons-nous alors parler d’une recherche historique ?

Zemmour raconte l’Histoire d’une manière totalement opposée à la méthode d’un historien. Les historiens se spécialisent dans une époque et approfondissent leur travail dans ce domaine. Zemmour fait tout le contraire. Il pioche à différentes époques des exemples appuyant ses arguments antirépublicains. Pouvons-nous alors parler d’une recherche historique ? Il ne prend que ce qui peut l’aider à prouver ses dires, de manière totalement subjective. Une recherche en Histoire se doit d’être objective, méthodique et spécialisée. Un historien doit, comme dit précédemment, exposer les faits, en étayant son interprétation. Cette façon de réfléchir constitue la méthode historique. Partir d’un point, d’une origine,  rechercher, confronter les sources, faire des conclusions, comprendre grâce à des réalités énoncées par des preuves concrètes. Ainsi, on doit justifier le récit historique par des arguments scientifiques, par un recours aux archives ou à d’autres sources.  Zemmour agit totalement différemment. Il sélectionne les informations, les exemples, qu’importe leur sens véritable ou leur époque, afin d’appuyer son discours et ses arguments. Il n’agit pas de manière à analyser les faits du passé. Il veut tout simplement utiliser l’Histoire pour appuyer son propre discours, et ainsi donner une valeur absolue à ses dires.

Cette utilisation fallacieuse de l’Histoire est typique des discours manipulateurs, qui l’utilisent dans le but d’impressionner leur auditoire. Lorsque l’on considère le temps d’antenne accordé au polémiste, et la rareté d’une retransmission aussi longue de discours politique, on peut penser que cela fonctionne assez bien…

Par Livia Choulet, Léonie Digny, Léane Eyraud, Albane Lazert, Sila Ulker,

sous la direction de Youri Aguilaniu