Le mot du prof:
Quand le sujet des polémiques sur l’enseignement de l’arabe à l’école m’a été proposé par une élève de Première, j’ai pensé que le sujet risquait d’être trop “bouillant” tant les crispations autour de ce thème sont grandes. L’objectif de ce travail étant éducatif, j’ai eu peur d’exposer les élèves à une trop grande virulence dans les réactions potentielles. De surcroît, la gigantesque littérature sur le sujet, qu’il s’agisse de travaux scientifiques ou de propos politiques ou médiatiques, rendait extrêmement complexe notre volonté de neutralité.
Mais la qualité des premières recherches spontanées de cette élève et le sérieux de sa posture m’ont finalement convaincu de nous lancer dans cette tâche. Le résultat final ne prétend en aucun cas dresser un bilan exhaustif des points de vue sur le sujet, et nous sommes conscients qu’aucun auteur ou autrice ne fait consensus. Le choix des articles consultés, notamment ceux des universitaires, est donc le mien et j’assume pleinement et seul ses failles et lacunes. A partir du moment où les élèves ont pu, par ce travail, aborder l’essentielle question des sources, travailler l’éducation aux médias, et faire évoluer leurs idées à la lecture de travaux de spécialistes, je considère l’objectif rempli. Puis il y a eu le confinement, les classes en demi jauges et autres désagréments de la période… Pour terminer cet article, je me suis donc permis de rédiger (en gris) une partie de l’article que nous avons abordée ensemble en cours, sans que les élèves n’aient eu le temps de le finir. Bonne lecture!

Depuis le 4 septembre 2020, jour où Emmanuel Macron a fait son discours aux Mureaux sur les séparatismes, la France vibre sous les rebondissements concernant ce projet de loi, et les déclarations politiques sur le sujet. En effet, le président de la République a appelé à une intensification de l’enseignement de l’arabe à l’école publique, ce qui n’a pas manqué de raviver de vieilles polémiques.
Déjà en 2018, Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National, s’offusquait d’une telle idée qu’elle qualifiait de “solution absurde”, avant d’arguer que la langue française “doit être apprise davantage afin qu’elle puisse rayonner dans les autres pays. Ici, c’est la France!” (RTL, 12 septembre 2018).
Pour certains, cette loi contre les séparatismes respecte et protège les principes républicains; pour d’autres, elle les bafoue d’une façon intolérable en ne s’adressant qu’aux Français musulmans. En effet, une loi qui ne touche que certains Français pose problème car elle va à l’encontre de l’idée d’égalité, une valeur centrale de la république française.
Ce projet de loi pose des questions. Un point qui attire notre attention en tant qu’élèves de l’école publique est celui de l’enseignement de l’arabe à l’école. Ce point a nourri de nombreuses polémiques : radicalisation? Islamophobie? Séparatisme? Intégration? Question du voile, de ses multiples avatars vestimentaires ? Pourquoi l’arabe ? Immigration ? etc.
Toutes ces polémiques semblent mettre en lumière trois enjeux de la question de l’enseignement de l’arabe à l’école. Tous nécessitent une réflexion documentée.
- L’enjeu culturel de la question de l’enseignement de cette langue à l’école publique,
- La question de la compatibilité de la religion musulmane avec les principes républicains, notamment la laïcité.
- Et enfin l’enjeu social de l’intégration des minorités musulmanes dans la société française.
Un enjeu scolaire… mais pas seulement
Partons d’un paradoxe: il se dit dans l’enseignement supérieur que l’arabe est une langue d’excellence alors qu’elle suscite la peur dans le secondaire. Certains parents arabophones refusent même que leur enfant choisisse une option arabe à cause de l’image que cela pourrait renvoyer. Comment l’expliquer et remédier à cette mauvaise image de l’arabe à l’école?
Le débat politique
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, se pose en farouche défenseur de la proposition présidentielle: « L’arabe est une grande langue littéraire qui doit être apprise par tout le monde et pas que les Maghrébins ». Il précise que le principal objectif de l’extension de l’arabe dans le cadre scolaire est dû au fait qu’aujourd’hui, « on a des enfants qui apprennent l’arabe dans un cadre religieux fondamentaliste, si on veut assécher ce phénomène, eh bien on doit l’apprendre dans un cadre normal« . Si l’on peut interroger l’adjectif « normal » pour qualifier le milieu scolaire, on comprend bien l’objectif politique et social de la mesure. Déjà en 2016 puis en 2018, l’essayiste Hakim El Karoui avait déjà lancé une idée similaire en préconisant de « mobiliser le ministère de l’Éducation nationale pour relancer l’apprentissage de la langue arabe » pour limiter les cours à la mosquée « devenus pour les islamistes le meilleur moyen d’attirer les jeunes « . De même, Bernard Rougier, sociologue et professeur de civilisation arabe contemporaine à la Sorbonne Nouvelle, souligne cet enjeu : « Plus on connaît la civilisation et la culture, plus on a les instruments pour ne pas se faire avoir par des discours exclusivement religieux ».
Les critiques de l’opposition quant à cette proposition expliquent aisément la mauvaise réputation de l’arabe à l’école. En effet, une partie de l’opposition craint un tremplin vers la radicalisation religieuse.
C’est le point de vue de Luc Ferry, invité sur le plateau de C News le 7 octobre 2020. L’ancien ministre de l’Education de Nicolas Sarkozy y fit part de son inquiétude face à cette proposition : “si l’on veut islamiser la France c’est le meilleur moyen d’y arriver […] on enferme des gamins dans un communautarisme linguistique. » Marine le Pen, de son côté, se saisit également de l’affaire et accuse la proposition d’« élargir et accélérer l’apprentissage de l’arabe » dans un but « juste électoraliste ».
Si le journaliste et polémiste Eric Zemmour reconnaît que la langue arabe est “très admirable et poétique”, il assène aussitôt: « Lorsque l’on dit langue arabe ,ça revient au Coran et à la religion musulmane” avant d’ajouter “que les Frères musulmans (…) essayent de réarabiser pour islamiser, ça fait 30 ans qu’ils font ça”. Il soutient également que “l’arabe est la langue de la banlieue et la langue des personnes qui tuent sur le territoire français” .(C NEWS, 25 février 2020)
Si cette dernière diatribe tranche par sa haine sociale et sa violence, on remarque que la réticence face à la déclaration d’Emmanuel Macron vient de la crainte que la religion entre dans l’école laïque via l’enseignement de l’arabe.
Une confusion devenue classique
Cet amalgame entre arabe et islam n’est pas un cas isolé ! Il s’agit même d’un grand classique des polémiques françaises en matière de laïcité et d’intégration, qui questionnent notre perception des valeurs républicaines. Un petit rappel historique s’impose.
Dans l’islam, la langue arabe a une importance primordiale. C’est tout d’abord la langue maternelle du prophète Muhammad par qui, selon la tradition musulmane, est venue la révélation prophétique. Progressivement, au cours des premiers siècles de l’Hégire, se forge une sacralité de la langue arabe. Le Coran a été rédigé et diffusé en arabe, qui est la langue liturgique de l’islam. Elle permit, dans les premiers temps de l’Islam de rassembler les premiers musulmans. Mais attention ! A l’époque de l’Hégire en 622 (départ de Muhammad vers la Mecque et an I du calendrier islamique), il existait bien évidemment des arabophones juifs, chrétiens et polythéistes. Les historiens perçoivent de plus en plus la péninsule arabique du VIIème siècle comme un espace marqué par une grande diversité religieuse et un grand dynamisme sur le plan des réformes. La langue arabe est donc la langue de l’islam, mais la réciproque n’est pas vraie ! De même, les rapides conquêtes des premiers califes en dehors de la péninsule entraînent dès le premier siècle de l’Hégire, une grande diversité linguistique au sein de l’Umma, la communauté de croyants musulmans.
Affirmer que religion musulmane et origine arabe ne forment qu’un est donc un contre-sens. De nos jours, environ 62% des musulmans se situent en Asie et l’Indonésie à elle seule rassemble presqu’autant de musulmans (204 milions) qu’il n’y a de musulmans arabes Maghreb et Machrek réunis. Nabil Wakim, journaliste au Monde et auteur de L’arabe pour tous: pourquoi ma langue est taboue en France? (2020), parle d’une grande confusion qui est entretenue volontairement par certains, par ignorance pour d’autres, entre le monde arabe et le monde musulman.

Pour saisir toute l’étendue du problème, il faut comprendre que cet amalgame entre langue arabe et religion musulmane n’est pas que le fait d’hommes politiques athés, mais aussi de certains élèves de confession musulmane. On observe une opposition récurrente dans certains discours entre un “nous” et “l’école”. Le “nous” désigne pêle-mêle : les musulmans, les citoyens d’un pays étranger (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, etc.), les enfants de ces citoyens étrangers, les personnes familières avec ces cultures, les personnes soutenant les causes politiques d’un peuple musulman (Palestinien, Ouighour, Rohingya, …), etc. Dans cette opposition, “L’école” est comprise comme française, athée ou parfois chrétienne, européenne, et souvent socialement plus élevée. Ces deux catégories sont tellement floues et fourre-tout, qu’elles ne permettent parfois pas de penser une relation dépassant la simple opposition frontale, surtout lorsque l’école n’inspire pas confiance. Et c’est bien là tout le problème: cette confusion entretient un rapport de méfiance si ce n’est d’hostilité vis-à-vis de la France et des valeurs républicaines, qui elles-mêmes, sont mal comprises.
« Nous » et « l’école »: ces deux catégories sont tellement floues et fourre-tout qu’elles ne permettent parfois pas de penser une relation dépassant la simple opposition frontale
D’après Abdennour Bidar, philosophe et spécialiste de l’islam dans la République, les enseignants se trouvent face à des élèves parfois mal informés sur leurs croyances. Ainsi, il distingue deux principaux enjeux pour pallier cette ignorance qui développe une hostilité face à la laïcité de l’école : d’une part, apprendre aux élèves à distinguer le milieu scolaire et laïque, de la vie privée dans laquelle la religion peut s’épanouir sans contrainte. D’autre part, inculquer les valeurs de la République en entretenant de façon permanente le dialogue sur celles-ci : l’école doit accompagner les élèves pour les aider à comprendre pourquoi ces valeurs sont primordiales dans l’objectif de vivre ensemble dans un système démocratique. La laïcité n’intervient donc pas comme une négation de la religion des élèves, mais au contraire comme un moyen de faire coexister les différentes sensibilités représentées dans une classe.
Si la question de l’enseignement de l’arabe à l’école et les polémiques qu’elle soulève ne sont pas récentes, elles font néanmoins réagir l’historien de l’éducation Claude Lelièvre : « on ne favorise pas l’enseignement de l’arabe pour des raisons culturelles et intellectuelles mais pour lutter contre une peur et ça, c’est un fait nouveau ». De même, Nadia Yafi, directrice du centre de langue et de civilisation arabe de l’Institut du Monde Arabe (IMA) a également réagi : « Même s’il part d’une bonne intention ,ce texte ne fait qu’envenimer la polémique en renforçant l’association entre la langue et la religion ». C’est donc un paradoxe: en voulant éviter l’association de l’arabe et l’islam, on la renforce davantage.
L’enjeu républicain: islam et République sont-ils conciliables?

© Crédit photo : Photo Ibrahim Driouach
L’islam et la République peuvent-ils cohabiter ?
Le Coran n’impose aucun régime. Il incite même par certains passages à obéir aux gouvernants. (« Ô vous qui croyez, obéissez à Allâh, et obéissez au Messager [Muhammad] ainsi qu’à ceux d’entre vous qui détiennent le commandement » IV, 59). Ainsi, c’est au peuple de choisir dans quel régime il pourra s’épanouir. La République, théoriquement, pourrait donc s’associer à l’islam. Qu’en est-il vraiment ?
L’auteur explique que selon une majorité des musulmans, le Coran aurait une portée juridique en relayant une loi divine (shari’a). Cependant, en se penchant sur le texte, nous ne trouvons le terme « shari’a » qu’une seule fois, et il prend le sens de « chemin », « voie à suivre », offrant ainsi un large éventail d’interprétations possibles. Du Coran, il explique que “Son style tout en exhortations, recommandations, avertissements, conseils, relève de l’appel à la réflexion, à la méditation, à la responsabilité des actes et des choix d’existence, à l’examen de conscience, et non pas d’un exercice de codification juridique.”
Historiquement, la lecture juridique du Coran s’est imposée plus tard, par une élite religieuse soucieuse d’affirmer une forme de pouvoir politique s’appuyant sur le Coran. Or, en considérant qu’il existe une loi divine, on comprend aisément que pour un esprit croyant, aucune loi humaine (toute républicaine qu’elle soit) ne peut et ne doit la dépasser. Mais cette interprétation juridique postérieure à la rédaction du Coran n’est pas la seule, elle s’est en revanche imposée face à d’autres comme l’interprétation poétique ou celle de la mystique soufie (courant mystique de l’islam visant à se rapprocher de Dieu par une purification spirituelle). L’auteur insiste sur ce qu’il juge être une nécessité : prendre de la distance vis-à-vis de l’interprétation des théologiens. Il admet aussi que l’interprétation du Coran n’est aujourd’hui pas une affaire démocratique. Elle est menée et légitimée par une élite religieuse de savants. Ceci convient à une partie des croyants, et naturellement aux savants eux-mêmes, qui n’ont aucun intérêt à ce que cela change. Cela explique que le point de vue de l’auteur puisse être contesté.
Pour Abdenour Bidar, “nous manquons toujours de théories qui articulent efficacement islam et démocratie, islam et autonomie de la personne, islam et liberté de conscience, islam et égalité des sexes, etc. pour ne citer que les chantiers les plus importants.” Quelques travaux existent sur le sujet (Bidar, ou Malek Chebel et Fethi Benslama par exemple), mais ils restent peu connus du grand public.
C’est encore à l’école que les difficultés de compatibilité entre islam et République peuvent se mesurer. “Dans un certain nombre de classes, tout ce qui touche de près ou de loin à l’islam risque ainsi de devenir tabou, impossible à aborder, dès lors que l’adolescent l’aura assimilé à un sacré non négociable. Il est urgent de prendre la mesure de cet obstacle”. De même, il juge “hystérique” le préjugé selon lequel l’islam en lui-même pose problème, et dénonce plutôt une “médiocrité avec laquelle il est transmis” dans certains milieux ”tandis qu’heureusement dans d’autres, la religion est inculquée comme quelque chose d’ouvert, de tolérant, qui doit avoir l’intelligence de son adaptation.”
Si, on l’a vu, l’histoire de l’interprétation de l’islam peut être riche d’enseignement, celle de la République intégratrice, et plus globalement de la société française semble l’être tout autant.
L’enjeu pour la société française: l’intégration des minorités maghrébines musulmanes
Une plaie mémorielle pas encore cicatrisée
C’est un point qui soulève un grand nombre de questions : pourquoi l’arabe et pas le portugais ? Serait-ce parce que les Maghrébins n’arrivent pas à s’intégrer ? Ou parce que la société française n’arrive pas à les intégrer ? Serait-ce, comme on l’a parfois entendu dans certains médias, une incompatibilité culturelle ?

D’où vient cette crainte de la langue arabe, de la religion musulmane et des populations issues de l’immigration maghrébine? Dans les autres pays, le sujet ne soulève pas autant de questions.
D’après Nadia Yafi, directrice du centre de langues et de civilisations arabes à l’Institut du Monde Arabe (IMA), certaines blessures sont encore présentes : celle d’une guerre d’Algérie, « orgueil national inconsolable à la perte d’un vaste empire ». Il faudrait donc aller de l’avant pour refermer ces blessures. Beaucoup de possibilités s’offrent à la France pour restaurer une entente entre les deux États à l’histoire commune. Benjamin Stora, historien français, a d’ailleurs remis un rapport à Emmanuel Macron, en recommandant la mise en place d’une commission “Mémoire et Vérité”, travaillant à relancer les initiatives mémorielles de ce morceau d’histoire commune. Il y propose 22 points qui aideraient à la réconciliation. Entre autres, des jours de commémoration, l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, figure de l’opposition à la guerre d’Algérie, ou encore des noms de rue inspirés de personnes issues de l’immigration et qui mériteraient une rue à leur nom.
L’Histoire comparée à la rescousse de l’intégration républicaine
Afin de saisir la singularité de la question de l’intégration des minorités arabophones et/ou musulmanes dans la société française, il paraît éclairant de la comparer à une autre immigration dont l’intégration est vue comme différente.
L’exemple italien décrit comme “l’immigration modèle”, qui a su s’intégrer discrètement, « sans poser de problèmes », avec à la clé une réussite sociale exemplaire : de l’entreprise du bâtiment au sommet de la politique comme l’ex président de l’assemblée nationale Raymond Forni, ou de la vie publique comme Coluche ou Michel Platini.
« Il faut davantage regarder du côté de l’histoire de la société d’accueil que du côté des aptitudes à l’intégration des immigrés pour comprendre l’intégration »
Marie-Claude Blanc-Chaléart
Aujourd’hui, on explique cette réussite par une familiarité à la fois linguistique et religieuse. Mais si l’on creuse un peu, on remarque que dans la réalité de la fin du XIXe siècle, les Italiens ont parfois été critiqués, attaqués voire lynchés. La xénophobie d’aujourd’hui n’est pas nouvelle, elle était toute aussi présente lorsque les Italiens sont arrivés en France . Il est également éclairant de se pencher sur les raisons de ce rejet, comme le fait l’historienne Marie-Claude Blanc-Chaléart.
On y trouve un racisme ouvrier s’expliquant par la crainte d’une concurrence déloyale sur le marché du travail, mais également un racisme aux racines nationalistes sur fond de rivalités coloniales, ou de guerres. On retrouve aussi des reproches moins politiques: on critique leur saleté, l’horrible odeur de leur “ragoûts dignes de l’enfer”, leur bruit, etc. On les décrit comme misérables, Dernier motif de rejet qui attire notre attention: la religion. En effet, à la fin du XIXème et au début du XXè siècles, les Italiens étaient raillés pour leur foi démesurément manifestée, ainsi que pour leur attachement à la figure religieuse de Marie. En 1883, à Paris, Jules Vallès, journaliste et écrivain, écrit que « la piété vile et veule de ces lazzaroni déshérités » déshonore le faubourg Saint-Antoine. On les traite de “culs-bénits”, de “christos”, et leur dévotion “à l’italienne” était critiquée, notamment par l’épiscopat français durant l’entre-deux guerre. Non seulement la religion n’était pas un critère d’intégration, mais elle cristallisait déjà la haine de cette immigration. Quant à la proximité de la langue, c’est un mythe étant donné que les immigrés italiens du XIXème et XXème siècles, majoritairement ouvriers, parlaient leur dialecte et non l’italien. Le mythe de l’intégration modèle des Italiens vole ainsi en éclat. Si on ne parlait pas encore de « grand remplacement », le livre de l’écrivain nationaliste Louis Bertrand, l’Invasion (1907, réédité en 1921), les comparait à une dangereuse nuée de sauterelles détruisant tout sur son passage…
Ainsi, en étudiant l’histoire de cette intégration italienne aux XIXème et XXème siècles, ses hauts et ses bas, Marie-Claude Blanc-Chaléart insiste sur l’importance du contexte historique: fin du XIXème, Première guerre mondiale, entre deux-guerres, seconde guerre mondiale et occupation italienne, etc. Pour elle, “Il faut donc davantage regarder du côté de l’histoire de la société d’accueil que du côté des aptitudes à l’intégration des immigrés pour comprendre l’intégration.”
Cette idée nous pousse à nous interroger de manière nouvelle sur la peur de l’enseignement de l’arabe à l’école, et de tout ce qui touche aux populations issues de l’immigration maghrébine et/ou de confession musulmane.
Posons finalement cette question: qu’est ce qu’être français? Nous aurons beau réfléchir à une identité fixe, nous n’en trouverons pas, à moins de faire appel à des clichés totalement fantasmés, sans aucune authenticité historique, dont seuls certains polémistes ont le secret : “Nous sommes des Gaulois chrétiens blancs fils de Clovis et Jeanne d’Arc ! ”.
Nous n’en trouverons pas parce que l’histoire de France est rythmée par des vagues de migrations qui se superposent. Les Français sont donc une juxtaposition de populations qui ont pour point commun de reconnaître les valeurs et les principes français.
On dit même parfois donc que l’identité française est un mélange de cultures avec une direction commune.
Cette réflexion nous mène à une conclusion: si le contexte actuel, avec ce qu’il implique d’histoires et de mémoires, explique en partie les difficultés que rencontre la société française à intégrer cette immigration, il s’agit également de s’interroger sur notre incapacité actuelle à cerner la direction commune qui lie la communauté nationale.
Par Lisa Bergaentzle, Clara Berthuit, Albane Lazert, Séréna Silverstre, Meltem Ulker, Sila Ulker
Sous la direction de Youri Aguilaniu